Astrid Lulling est Députée européenne luxembourgeoise, membre du Parti Populaire Européen. Elle a siégé pour la première fois en 1965, puis a été de nouveau élu depuis 1989 sans interruption, ce qui en fait la doyenne du Parlement Européen, à 84 ans !
Cédant sa place à un plus jeune candidat, ce n’est pas en tant que députée européenne qu’on la retrouvera après les élections dans les Commissions dont elle était membre en tant que députée : Affaires économiques et monétaires, Agriculture et développement rural et Droits de la femme et égalité des genres.
Dans cette interview, elle nous donne sa vision de l’Europe et aborde les questions de l’égalité des genres, du chômage des jeunes et l’entrepreneuriat.
C’est votre dernier mandat au sein du Parlement Européen. Est-ce que vous quittez le Parlement avec les mêmes convictions et la même vision de l’Europe qu’en 1965 ?
Quand je suis rentrée au Parlement Européen en 1965, notre objectif principal était de construire l’Europe dans la paix et dans la prospérité afin d’éviter une 3ème guerre mondiale. J’ai connu la guerre et j’ai perdu deux frères. Voilà pourquoi je suis toujours aussi engagée pour l’intégration européenne que je l’étais quand j’avais 20 ans.
Je me fais par contre beaucoup de soucis pour la composition du prochain Parlement Européen. Quand j’ai commencé en 1965, il y avait beaucoup plus d’enthousiasme et d’engagement pour l’Europe. Maintenant, il y a beaucoup d’eurosceptiques mais qui n’ont rien compris ! Car ils n’ont vécu rien d’autre, surtout les jeunes. Ils pensent que tout ça est tombé du ciel. La libre circulation des personnes, des travailleurs, des marchandises, des services, des capitaux… tout ça a dû être construit petit à petit. Ce n’est pas tombé du ciel !
Avec l’Euro, c’est la même chose. Si on n’avait pas eu l’euro, surtout pendant la crise financière, on serait beaucoup plus mal loti qu’aujourd’hui.
Pouvez-vous nous expliquer en quelques mots en quoi les pouvoirs du Parlement Européen ont-ils augmenté ?
Au départ, le Parlement Européen n’avait pas beaucoup de pouvoir. C’était le Conseil des Ministres qui décidait. Mais aujourd’hui, nous sommes co-législateurs.
Mais lorsque nous avions moins de compétences et qu’il n’y avait pas encore les élections directes, la qualité des députés était très grande ! Parce qu’on devait être député ou sénateur national pour être élu.
Actuellement, il y a beaucoup de députés européens qui n’ont jamais siégé même dans un conseil communal ! En conséquence, il y a beaucoup de membres qui oublient que quand on fait une législation, elle doit être simple et applicable. Les gens qui n’ont jamais siégé dans un parlement national ont du mal à s’y confondre.
Vous êtes membre de la Commission des Droits de la Femme et de l’Egalité des Genres. Lorsque vous êtes entrée au Parlement Européen, vous étiez l’un des deux seules femmes parmi les 143 membres. Aujourd’hui, les femmes représentent près de 40% du Parlement. Peut-on dire que l’égalité homme-femme, que ce soit dans le domaine politique ou privé, est en constante progression en Europe ?
L’Europe a fait beaucoup pour l’égalité de traitement et des chances entre les hommes et les femmes. Sans l’Europe, nous n’en serions pas où nous en sommes actuellement. Depuis 1975, nous avons fait des directives européennes pour l’égalité de salaires, la sécurité sociale, la protection de la maternité, l’accès à l’emploi, la promotion professionnelle, le congé parental…
Le problème aujourd’hui, c’est que la Commission des Droits de la Femme et de l’Egalité des Genres en demande beaucoup trop et le Conseil des Ministres n’a donc jamais attaqué par exemple le dossier concernant la protection de la maternité parce que le Parlement européen a surchargé la barque.
Etes-vous en faveur ou contre les quotas ?
Je ne suis pas pour. Je suis pour les quotas en politique mais je ne suis pas pour les quotas de la Commissaire Reding. Sa proposition ne concerne que 15 à 20 000 femmes dans les Etats membres et vise à les parachuter dans les Conseil d’Administration des entreprises cotées en bourse.
Moi j’avais préparé une alternative à cette législation avec 90 amendements pour faire une directive qui aurait obligé toutes les entreprises à faire des actions positives pour promouvoir les femmes. Cela aurait concerné des millions de femmes !
Que doit faire l’Europe pour combattre le chômage chez les jeunes ?
Il faut que les Etats Membres veillent à la compétitivité des entreprises. Si vous n’avez pas d’entreprises compétitives, vous ne pouvez pas créer de l’emploi.
Il est difficile de résoudre le problème du chômage, ce qui est prouvé par exemple au Luxembourg. Nous avons créé depuis 2008 quelques 40 000 emplois et nous avons 20 000 chômeurs, car les résidents ne sont pas assez formés ou ne prennent pas les emplois qui sont disponibles. Pourquoi ne sommes-nous pas capables de les former ?
Au Luxembourg, nous avons aussi le problème de la fonction publique, qui est admirablement bien payée ! Nous vivons au-dessus de nos moyens dans le secteur public. J’ai le courage politique de le dire. La plupart des hommes et des femmes politiques au Luxembourg n’ont pas ce courage. Car si vous dites la vérité, comme la plupart des électeurs pour le Parlement National sont issus de la fonction publique, vous perdez les élections !
Comme vous le savez, UNITEE représente les entrepreneurs Nouveaux européens, soit des individus qui vivent et travaillent en Europe tout en ayant des liens culturels et linguistiques avec un pays tiers. Pensez-vous que l’Europe utilise pleinement le potentiel offert par ces Nouveaux européens ?
Sans ces travailleurs étrangers, le Luxembourg serait un pays pauvre !
Dans mon pays, il y a énormément d’entrepreneurs et de chefs de société étrangers car les Luxembourgeois sont plutôt dans la fonction publique.
Ces entrepreneurs de la migration sont intégrés dans les associations comme par exemple la Fédération des Industriels, l’Association des Banques et Banquiers, les Chambres de commerce. Que vous soyez luxembourgeois ou non, cela ne compte pas. Vous avez toujours des possibilités de vous intégrer dans des structures existantes.
Quel serait votre message pour encourager les Nouveaux européens à voter aux élections européennes 2014 ?
Quand on a le droit d’aller voter, il faut aller voter ! La composition du Parlement Européen pendant la prochaine législature est importante, car les députés sont co-législateurs, donc ils ont une énorme influence.
Mais encore faut-il qu’il y est au Parlement Européen une majorité de membres raisonnables, compétents, présents pour faire une législation européenne applicable. Nous avons de plus en plus d’eurosceptiques, ce qui est très dangereux pour l’Union européenne.
Il faut voter pour des gens qui sont capables d’être de bons et raisonnables législateurs. C’est dans l’intérêt aussi des entrepreneurs.